Normes comptables internationales: l'Europe doit défendre ses intérêts dans le débat sur l'harmonisation


Le Monde, cahier "Eco & entreprise" du mardi 23 avril 2013. Le dernier.La question de l'harmonisation des normes comptables à l'échelle internationale n'est pas récente. Elle se pose toutefois en termes nouveaux après les crises financières de 2007-2008 et de 2010-2011.
Revenons un court instant à la situation antérieure à 2007. Devant le succès grandissant des normes International Financial Reporting Standards (IFRS) - utilisées par les sociétés cotées ou faisant
appel à des investisseurs pour présenter leurs états financiers -, des voix de plus en plus nombreuses plaidaient alors pour une convergence des normes comptables au niveau mondial.

Les critiques, notamment de la "juste valeur" (la valeur de marché), bien que déjà présentes, ne semblaient pas à même de remettre en cause la dynamique de convergence qui était à l'oeuvre.

Mais les crises successives, en apportant la démonstration de la "procyclicité" de cette juste valeur - sa capacité à croître ou à décroître en fonction de l'évolution du cycle économique - ont amplifié les critiques. Celles-ci ne se limitent pas à la juste valeur, mais concernent aussi d'autres thèmes tels que la reconnaissance du chiffre d'affaires, les contrats de location ou les effets contre-intuitifs des normes.

La volonté de convergence entre les normes américaines - Generally Accepted Accounting Principles (US GAAP) - et les IFRS s'était à nouveau manifestée lors du G20 de Pittsburgh (Pennsylvanie) en septembre 2009. Un calendrier très contraint avait été établi avec un délai fixé... à la mi-2011. Mais force est de constater que la route est encore longue.

EFFETS NÉFASTES

D'autant que tous les acteurs concernés ont admis les effets néfastes de la procyclicité des normes de juste valeur et de leur impact potentiel sur la stabilité financière, d'une conception de la performance parfois en décalage avec la réalité des modèles économiques des entreprises et des économies nationales, ou encore d'une confusion implicite entre performance et risque.
En une décennie, les perspectives d'évolution des normes comptables dans le monde ont ainsi profondément changé ; la convergence des normes IFRS avec les US GAAP reste un point sur la ligne d'horizon.

Dès lors, quel cap se fixer pour réorienter un système de normalisation comptable dont les enjeux dépassent largement la question technique ? C'est la réflexion développée dans le cinquantième cahier du think tank En Temps Réel, Normes comptables : la mondialisation en panne (www.entempsreel.com).
Cette situation amène en effet à s'interroger de nouveau sur la manière dont s'établit la légitimité d'un système aux conséquences réelles pour les économies. L'Europe a tenté de peser, avec un résultat mitigé, en faveur d'une plus grande influence des autorités publiques dans la gouvernance de l'International Accounting Standards Board (IASB), dont émanent les normes comptables IFRS.

La récente nomination par le commissaire européen au marché intérieur et aux services, Michel Barnier, d'un "conseiller spécial", Philippe Maystadt, dont la mission est de renforcer la contribution de l'Union européenne (UE) à l'élaboration des IFRS et d'améliorer la gouvernance des institutions qui les élaborent, montre l'importance du sujet.

DEUX ENJEUX MAJEURS

La pérennité des normes IFRS repose sur deux enjeux majeurs : d'une part, mieux prendre en compte les exigences des utilisateurs, notamment les émetteurs et les investisseurs, par nature très divers ; d'autre part, permettre à l'Europe de recouvrer une souveraineté trop longtemps délaissée en la matière.
Certains verront dans cette affirmation une remise en cause de la volonté d'établir des règles communes à un marché mondialisé. C'est au contraire par un meilleur équilibre des forces que les normes IFRS pourront se refaire une santé. La convergence ne doit pas se faire à n'importe quel prix, et elle ne pourra se construire que par une saine confrontation entre différents modèles.

Il ne s'agit pas ici de remettre en cause les IFRS, ni de développer des normes européennes. Il s'agit plutôt d'assurer la pérennité des premières en s'interrogeant sur la pertinence d'une méthode d'adoption de ces normes qui prive l'UE de son autorité dans ce domaine - autorité dont la plupart des pays du monde se sont dotés -, l'empêchant ainsi de prendre en compte les spécificités de nos économies.
Et ce d'autant plus que la dynamique d'harmonisation complète des normes à l'échelle universelle n'est d'ores et déjà plus à l'oeuvre et qu'il est établi qu'une éventuelle adoption des IFRS par les Etats-Unis se ferait selon un mécanisme formel de "filtrage" (endorsement) leur permettant de modifier les normes, de les rejeter ou de les adopter partiellement.

Ce que de nombreux pays ont fait, il est temps pour l'UE de l'accomplir. Elle doit se doter d'une organisation ayant une capacité de recherche, de contribution et d'influence dans le débat comptable à l'échelle mondiale, un équivalent du Financial Accounting Standards Board (FASB) américain.

source: monde.fr

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